Pierre, vous venez de passer le relais après avoir animé des années durant les ateliers d’analyse de pratiques au CIMA. Quel regard portez-vous sur cette aventure ?

Depuis 2016, j’ai animé plus de 120 séances. Chaque rencontre rassemblait entre 6 et 8 professionnels : des avocats, des psychologues, des médecins, des médiateurs, des experts judiciaires… Et même des curieux.

Ces temps d’analyse sont devenus au fil du temps une évidence. Ce qui était au départ une recommandation est désormais ressenti comme indispensable par les participants.

Quel est l’objectif de ces ateliers ?

L’analyse des pratiques concerne notamment le professionnel qui exerce des fonctions comportant des dimensions relativement relationnelles, permettant de travailler à la construction du sens de la pratique et/ou à l’amélioration des techniques.

L’idée est simple, mais essentielle : se regarder dans le regard de l’autre. On y travaille la posture du médiateur, qui ne doit jamais être une imposture. On se confronte à nos émotions, on affine notre neutralité, notre impartialité, notre indépendance.

Cette mutualisation des pratiques est une démarche, un processus consistant non seulement à décrire une situation, mais à analyser, puis à décortiquer, à chercher sous l’écorce, pour comprendre ce qui été fait, ce qui s’est passé, ce qui a été produit au cours de la séance… et ce avec l’objectif d’animer au mieux les futures rencontres.

Il ne s’agit pas de supervision individuelle, mais d’un travail collectif.

Comment se déroule un atelier d’analyse de la pratique ?

Un atelier se déroule en trois temps:

  1. Un tour de table pour faire émerger une situation problématique vécue par un médiateur.
  2. Une phase de mise en question : est-ce vraiment de la médiation ? Qu’est-ce que cela dit de notre posture ?
  3. Un élargissement des perspectives pour repartir enrichi, avec de nouvelles clés.

Dans nos ateliers, nous ne cherchons pas à résoudre un problème avec des conseils. Nous questionnons en profondeur la posture, les fondements, la déontologie, les enjeux humains. Nous soutenons ceux qui soutiennent.

Faire médiation, c’est permettre aux personnes de retrouver leur propre compétence. Le médiateur ne donne pas la solution. Il redonne du pouvoir aux personnes.

Quels thèmes abordez-vous lors de ces ateliers ?

On parle beaucoup de la posture du non-sachant, du cadre, des émotions, de la déontologie, de la complexité humaine. Mais aussi de l’interdisciplinarité – car un médiateur ne fait rien seul, des MARD, de la coexistence avec le droit…

Et puis il y a les humanités : sociologie, psychologie, philosophie. Elles traversent la médiation, elles l’enrichissent.

Parlez-nous de votre parcours

En matière de médiation, j’ai commencé par la pratique de la médiation familiale il y a plus de 30 ans. Puis j’ai élargi mes interventions à d’autres champs. J’ai contribué, avec d’autres, à la création du Diplôme d’État de médiateur familial.

Je suis intervenu dans de nombreuses formations, au CIMA, mais aussi à la faculté de Lyon, à Genève, à l’international comme en Côte d’Ivoire… Je forme des médiateurs, et je continue d’apprendre. Au cours de ma carrière, j’ai repris des études de philosophie, car la médiation est traversée par le droit, la sociologie, l’anthropologie.

Dans ma première vie professionnelle, j’ai évolué dans le champ médico-social et dirigé divers établissements de santé. J’ai entre autre été confronté aux maladies mentales et aux pathologie relationnelles. C’est aussi ce qui m’a amené à la médiation.

Un mot de la fin ?

Aujourd’hui, je passe la main. Mais je suis convaincu que ces ateliers doivent perdurer. La médiation a un rôle fondamental dans notre société. Pour parler à deux, parfois, il faut être trois.

Faire médiation, c’est faire société. C’est entrer dans une forme d’écologie humaine. L’analyse des pratiques participe ainsi à la construction d’une future posture proche de ce néologisme « alteridentité ».

En terme de conclusion, je dirais que les médiateurs ayant participé à ce travail sont de véritables passeurs d’humanité même si l’humanité ne prend pas toujours soin de son humanité.

Categories:

Tags:

No responses yet

Laisser un commentaire